Production _ diffusion : de nouveaux "formats" pour l'art contemporain
> Sylvie Amar


Je vais vous présenter la structure Bureau des Compétences et Désirs, qui ouvrira prochainement ce que nous appelons L'Agence pour la commande et la production artistique /architecturale. Le Bureau existe sous une forme associative depuis 1994. C'est une structure qui nous a permis de monter un certain nombre de manifestations. Au départ, l'idée était plutôt de ne pas avoir d'espace à gérer pour des raisons que nous connaissons tous ; à savoir des lourdeurs en terme de fonctionnement, de gestion de personnel, toutes ces choses qui alourdissent les actions et notre capacité à réfléchir sur les projets et à en imaginer de nouveaux.
Nous nous sommes donc un peu greffés sur d'autres structures dans lesquelles nous avons réalisé des manifestations, essentiellement à Marseille et notamment avec l'Ecole des Beaux-Arts (résidence d'artiste), le MAC (exposition) et les Ateliers d'artistes de la Ville de Marseille (expositions et conférences).
Notre activité s'est rapidement spécialisée dans l'échange international en se basant sur l'expérience que Yannick Gonzalez et moi-même avions de séjours et de travail dans des structures à l'étranger, en particulier aux Pays-Bas et aux Etats-Unis. Notre idée était de faire fructifier les liens, de valoriser les relations que nous avions pu avoir et surtout de répondre à des désirs de connaissance et de voyage de la part d'artistes qui avaient envie de travailler à l'étranger. Dans un premier temps, nous avons activé et fait fonctionner le réseau. A ce moment-là (1995-96), Marseille avait vécu dix ans d'une politique en faveur de l'art contemporain où l'argent coulait à flot et l'on commençait à ressentir les effets pervers de cette politique : un certain nombre d'initiatives - qui avaient engendré un très bon travail d'accueil en résidence, d'exposition ou même d'édition - était en train de s'institutionnaliser, certains artistes qui avaient joué un rôle moteur au sein du tissu associatif n'y trouvaient plus leur compte, les structures s'appauvrissaient et les acteurs n'arrivaient plus à trouver l'énergie suffisante pour défendre d'autres travaux ou leur propre travail. Il y avait un manque de respiration. Je pense sincèrement que, pour ceux qui ont osé franchir le pas, le fait d'aller ailleurs, de voyager, de sortir d'un contexte qui tournait un peu en rond, a fait évoluer leur situation, puis dans un second temps la situation générale de l'art contemporain à Marseille.
Peu de temps après, le contexte politique de la ville a changé : les nouveaux élus à la culture ont pris d'autres options : le patrimoine, le 19e siècle, etc...
L'art contemporain est ainsi moins prioritaire, même s'il reste présent sous forme d'événements, de grandes manifestations, assez rares du reste. A l'intérieur de cette politique culturelle, il reste encore des possibilités pour travailler, mais en dehors de certains rouages. Il fallait agir en dehors des initiatives habituelles. Nous avions commencé par la mise en réseau avec l'international, et les Nouveaux commanditaires nous ont ouvert de nouvelles possibilités, nouvelles dans tous les sens du terme.
Aujourd'hui, le BCD est avant tout une équipe, ce n'est pas une seule personne, et surtout pas moi, qui peut complètement l'incarner !
Le fonctionnement en équipe est donc très important : les rapports de travail sont horizontaux, nous sommes tous polyvalents, il n'y a pas un décideur et des exécutants, chacun doit être en capacité de propositions devant les autres. Nous arrivons toujours à avoir une base de travail concertée et je trouve que c'est très précieux parce que ça nous évite de tomber dans des travers qui sont, par exemple, de faire des listes d'artistes ou de programmer un certain type d'intervention parce que nous allons défendre certaines idées ou certaines esthétiques, notre travail est un peu à l'inverse de ça.

Le BCD s'est donc peu à peu structuré autour d'un certain nombre d'activités que je vais vous présenter. Notre gros secteur d'activité est un secteur que nous avons ouvert en 1997 et que nous appelons aujourd'hui "L'aventure ici", c'est la mission déléguée de la Fondation de France, qui consiste à mettre en place et développer ses programmes "Nouveaux commanditaires" et "Initiatives d'artistes" dans la région Provence–Alpes-Côte-d'Azur. Le secteur "Serial Objects" consiste à inviter des artistes à produire un objet multiple ou à inviter des personnes à réfléchir à cette question. La programmation se fait également en accompagnant l'objet ou l'invité d'un poster avec un texte informatif. Cette programmation est un peu expérimentale, nous avons pas mal de liberté et nous pouvons prendre des risques puisque ces objets représentent des budgets assez peu élevés. Les éditions constituent un secteur qui se développe sous forme de collections. Dans la première qui s'appelle "Mémoires urbaines" nous avons publié trois titres. La seconde qui est en train de démarrer sera consacrée aux écrits d'artistes. Dans ce secteur nous intégrons également les "Prêts-à-poster", qui sont les posters liés aux Serial Objects. (Cela peut paraître compliqué, mais tout se rejoint en réalité !). Le dernier secteur, qui ouvre en 2003, s'appelle "L'Agence pour la commande et la production artistique/architecturale" qui sera un lieu non pas d'exposition, mais un lieu ressource, un lieu où nous prenons le pari de rendre visibles les processus de production des œuvres, un lieu plutôt pour informer que pour communiquer. Nous avons également un secteur moins visible, un peu en expérimentation, que nous avons mis en place depuis deux ans. Il s'agit d'un programme qui propose de former des médiateurs-producteurs d'art. L'idée est venue lors d'une réunion de tous les médiateurs de la Fondation de France : après plusieurs années de pratique, nous nous sommes aperçus que nous avions développé de nouvelles pratiques professionnelles et que nous avions investit des champs que nous n'avions pas imaginés. C'est un secteur dont je vous parlerai peu aujourd'hui parce qu'il est en cours d'élaboration, il se met en place actuellement et donc nous n'avons pas pour l'instant le recul nécessaire pour en rendre compte. Nous sommes, d'autre part, actuellement en train d'essayer de théoriser et d'élaborer une méthodologie autour de ce programme des Nouveaux commanditaires, les actes du colloque organisé en avril 2002 autour de ces questions sont d'ailleurs en cours de publication. Nous invitons des regards extérieurs à se poser sur nos pratiques quotidiennes de manière à en rendre compte de façon plus analytique. C'est un aspect très important parce que nous sommes continuellement en action, nous avons continuellement des projets en cours et donc peu de temps pour théoriser et prendre du recul. L'ambition de ce futur programme de formation est de transmettre une expérience, puisque nous sommes dans une logique de savoir-faire et d'enrichissement mutuel ; ces personnes (les stagiaires) sont intégrées pendant un an à la structure et participent pleinement à son activité. Elles gèrent des dossiers, sont responsables de chantiers et peuvent avoir des choix à faire. Leurs tâtonnements nous apprennent aussi, puisque nous sommes confrontés à de nouveaux problèmes à chaque nouveau projet.

Je vais maintenant vous présenter un peu plus dans le détail les Editions. Le principe de la collection Mémoires urbaines s'appuie sur les "récits et recettes". Dans le premier ouvrage que nous avons publié – Cuisines sur rue, récits et recettes des jours de fête - quatorze femmes de quatorze communautés différentes de Marseille ont accepté de raconter un souvenir de jour de fête et de ce que l'on mangeait ce jour-là. Il y a toujours dans ces livres une mémoire culturelle, religieuse, familiale associée à des transmissions liées à la cuisine, liées à ce qu'on ramène de son pays, liées à ce que l'on transmet à ses enfants. Le deuxième ouvrage – C'est la faute au soleil, récits et recettes de la Sainte-Victoire - est né d'un projet Nouveaux commanditaires qui a complètement croisé notre ligne éditoriale. Il s'agissait d'une commande émanant de la Bibliothèque et du Foyer des Aînés de Peynier (40 km de Marseille) : leur désir était de préserver la mémoire de leur village, dont la population s'est complètement renouvelée par des apports extérieurs depuis quelques années. Les personnes âgées étaient en train de partir, la mémoire du village avec eux, et les nouveaux arrivants n'avaient pas la connaissance de l'histoire du village. Ils ont donc souhaité travailler avec un écrivain et de fil en aiguille, les récits culinaires ont entraîné les commanditaires et nous-mêmes vers l'édition de ce petit bouquin. Nous venons d'en réaliser un dernier, - C'est le goût d'une histoire, récits et recettes de la Bahianaise – écrit par une anthropologue brésilienne. Elle raconte comment les femmes brésiliennes se sont émancipées de l'esclavage à travers la vente de leurs mets traditionnels dans les rues de Bahia. Cette pratique est encore extrêmement forte à Bahia aujourd'hui : il y a des hommes qui se déguisent en cuisinière bahianaise pour vendre leurs plats, et Bahia est la seule ville au monde où un Mac Donald a dû fermer parce que la concurrence était trop forte avec ces dames !
Concernant, les Serial objects nous avons produit un petit livre d'images avec Antoni Muntadas, un ouvre-bouteille en carton avec Sylvie Réno, un mouchoir sérigraphié avec Guy Giraud, entre autres...
Nous avons toujours eu un intérêt pour les objets multiples : d'une part parce que ce sont des objets produits en quantité par des artistes, cela les rend accessibles en terme économique, aussi et surtout parce qu'ils sont une perversion dans l'idyllique marché de l'art. Ce sont des objets qui deviennent facilement intimes, qui entrent sans façon dans le quotidien, ce sont des objets sans gravité.
Nous avons ouvert une programmation sur ce sujet en 1999 et nous avons invité des gens qui collectionnent ce type d'objets et/ou qui s'intéressent à ces questions, à nous les présenter, à écrire dessus. Nous avons invité Philippe Vergne, Chris Dercon, Muntadas… Ensuite, nous avons eu envie de produire des objets qui seraient non seulement des multiples, mais aussi des gratuits ! L'idée dans le cas présent était la suivante : l'œuvre d'art n'est pas forcément à vendre, elle peut être à offrir, à prendre, à faire circuler dans des réseaux de personnes. Autour de ce prétexte, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait énormément de rencontres qui se faisaient. Les gens venaient plus facilement voir les présentations, ils voulaient leur objet gratuit ! Il y avait un attrait assez incroyable pour la chose. La gratuité favorise des rencontres et des discussions : les gens s'interrogent sur la raison de la gratuité ou sur le prix que l'objet aurait s'il fallait le vendre et toutes sortes d'autres questions...
Le secteur des Nouveaux commanditaires est un programme dont le but essentiel est de créer des liens entre les artistes et la société contemporaine. L'idée brute dite comme ça peut laisser perplexe. En ce qui me concerne, j'ai entendu parler des Nouveaux commanditaires quand j'étais en formation à l'Ecole du Magasin à Grenoble. Nous étions dans une magnifique boîte blanche, sur un site extraordinaire, là où l'art se fait, se passe. Et, un jour nous avons vu arriver un grand type venu nous expliquer qu'il était possible de travailler avec des gens en participation, en leur laissant exprimer leur besoin d'art. Il nous disait : "Vous allez être des producteurs, des médiateurs, vous allez les aider à exprimer leur besoin d'art, vous allez les aider à établir un cahier des charges et vous allez les aider à trouver l'artiste qui correspond à leur attentes". Au début ça nous a posé à tous beaucoup d'interrogations. Nous n'y avons pas vraiment cru jusqu'au jour où une éducatrice travaillant dans un quartier en difficulté de Grenoble est venue nous voir. Elle nous a dit qu'elle avait besoin d'un artiste, qu'il fallait faire une exposition, qu'elle avait de gros problèmes dans son quartier, qu'il fallait faire quelque chose et qu'un artiste saurait faire quelque chose. Ces propos étaient encore un peu confus lorsque nous l'avons reçue pour la première fois, mais nous avions devant nous notre premier commanditaire. Depuis, je n'ai pas cessé de rencontrer des gens comme elle ! Nous avons travaillé cette année-là avec un groupe de personnes qui s'est constitué commanditaire avec cette éducatrice. Nous avons établit le cahier des charges, puis nous avons proposé Olivier Menantau, photographe, qui depuis bénéficie d'une reconnaissance nationale voire internationale. Nous avons travaillé pendant trois ans sur ce quartier, à chaque fois que c'était fini les gens voulaient faire autre chose, ils ne voulaient plus lâcher Olivier. Un jour, je suis allée visiter une exposition d'Olivier à Marseille et j'ai vu arriver tout le groupe des commanditaires de Grenoble ! Je pense qu'ils le suivraient au bout du monde. Il y a quelque chose d'assez fort qui se passe quand les liens se nouent entre les commanditaires et l'artiste. En le constatant, je me suis dit que c'était quelque chose de complètement nouveau. Lorsque l'on monte un projet avec un artiste, qu'il s'agisse d'une exposition, d'une publication, les liens sont intéressants, importants, forts, mais là il y a une alchimie unique qui se produit. Soit ça fonctionne, soit ça ne fonctionne pas ! Pour l'instant, il ne nous est jamais arrivé de nous tromper dans le choix d'un artiste, et heureusement parce que les enjeux sont importants, autant au niveau humain et artistique que financier.
L'un des premiers projets que nous avons réalisé à Marseille, c'était avec l'Institut Paoli-Calmettes, un centre important de lutte et de recherche contre le cancer. Cet hôpital voulait remplacer sa chapelle catholique par un lieu de recueillement pluriconfessionnel. Dans l'esprit du directeur d'hôpital, il fallait un lieu œcuménique où tout le monde pourrait se retrouver. L'aumônier catholique de l'Institut, Nicole Bellemin-Noël, a vraiment été le pilier de ce projet. Elle pensait, contrairement au directeur, que dans une région où se côtoient de nombreuses cultures méditerranéennes, les gens ont besoin de représentations. Il lui semblait impossible qu'un espace œcuménique soit en phase avec la réalité. Donc, nous avons beaucoup travaillé avec eux pour établir le cahier des charges et nous avons fait appel à Michelangelo Pistoletto pour réaliser le projet. La procédure a magnifiquement fonctionné, que l'on se place du point de vu de la relation entre les commanditaires et l'artiste ou que l'on regarde le résultat, le lieu qui est né après trois années de travail en commun. Il fonctionne très bien aujourd'hui. Il est utilisé aussi bien par les patients, que par les familles et les personnels soignants. Voilà ce que peut donner un projet Nouveaux commanditaires.
Notre rôle, en tant que médiateur-producteur de ce type de projet, est avant tout d'être à l'écoute, d'entendre les besoins, de savoir les repérer, d'évaluer si le commanditaire saura porter la responsabilité du projet - c'est très important - d'élaborer le cahier des charges, de faire une proposition artistique, de présenter l'artiste, d'expliquer pourquoi à travers le cahier des charges on a choisi cet artiste parmi tant d'autres et ensuite de mettre en œuvre les phases de médiation entre le commanditaire et l'artiste et pour finir de mettre en route la réalisation de l'œuvre.
La Fondation de France finance une partie du projet, et c'est aux médiateurs de trouver le reste du financement de l'œuvre.
Nous avons également mené à bien deux commandes photographiques avec Patrick Faikenbaum à Saint-Raphaël (Var), le premier avec l'Amicale des raphaélois, le second avec l'Ecole Liberté pour commanditaires. Ces deux projets ont très bien fonctionné et ont eu beaucoup de succès auprès de l'ensemble des habitants de Saint-Raphaël.
Dans un tout autre domaine, nous avons travaillé pour un club nautique qui voulait un aquarium d'eau de mer pour son école de pêche. Cet aquarium était à vocation pédagogique, il devait leur servir à montrer la faune et la flore méditerranéenne. Nous avons travaillé avec Erik Samakh. L'artiste a réalisé un dispositif très simple et drôle à la fois : à l'intérieur du décor de l'aquarium sont placées des caméras. L'aquarium se présente sous la forme suivante : une large vitre permet d'observer directement ce qui se passe à l'intérieur, sur le côté droit deux écrans retransmettent les images filmées depuis l'intérieur de l'aquarium avec la possibilité de zoomer ou de réorienter les caméras. A certains moments, il y a même la possibilité de voir apparaître les gens qui observent l'aquarium qui se retrouvent alors eux-mêmes dans les téléviseurs. On se retrouve alors face à une inversion, un jeu de miroirs entre l'intérieur et l'extérieur de l'aquarium.
Actuellement, nous sommes en train de réaliser une commande importante dans un institut pour jeunes aveugles avec handicaps associés. Nous avons formalisé trois demandes : la création d'un jardin sensible, la mise au point d'une signalétique adaptée autant aux résidents qu'au personnel et aux familles, enfin un réaménagement des lieux de vie. La commande de jardin sensible a été passée à Alain Richert et Catherine Willis, à Daniel Buren pour la signalétique et à Andrea Blum pour le réaménagement des lieux de vie. C'est une jeune paysagiste, Natacha Guillaumont, qui assure la maîtrise d'œuvre du jardin, qui apprend aux jeunes aveugles à faire les plantations et à les entretenir.
Nous travaillons également sur un projet de place publique. La particularité de ce projet réside dans le fait que nous intervenions sur un espace public suite à la demande des habitants de ce village de Peynier. Il y avait sur ce lieu des bâtiments complètement insalubres qui ont été détruits par la Ville. Aujourd'hui, il y a donc un espace vide et brut. Des études avaient été faites par le CAUE des Bouches du Rhône pour réaménager ce lieu. Mais elles n'ont pas satisfait les habitants du village, surtout les riverains. Ils sont donc allés voir le maire pour lui dire que ça ne leur convenait pas. Le maire leur a dit : d'accord, mais faites une proposition. Nous avons été contactés parce qu'ils ne savaient pas trop comment s'y prendre et parce qu'ils connaissaient pour la plupart d'entre eux le travail que nous avions fait avec les personnes âgées lors de l'édition du livre. Cette commande avait ceci d'exceptionnel qu'elle constituait un enjeu citoyen. Pour les habitants, c'était un peu une manière de s'approprier le village, de participer à son évolution, puisque la plupart sont des nouveaux arrivants. Je fais ici des raccourcis et je passe sur les détails, pour vous dire où nous en sommes à l'heure actuelle. Nous avons proposé Alexandre Chemetoff pour réaliser ce projet et nous signons d'ailleurs demain le contrat de réalisation. C'est un projet qui a pu émerger seulement au bout de trois ans parce qu'il y a eu trois campagnes électorales, des changements politiques, etc. Le début des travaux est prévu très prochainement, le projet a tenu. Je vais vous raconter une petite anecdote qui je pense donne une idée de la présence des commanditaires dans ce projet. Un jour, Alexandre Chemetoff a exposé un croquis montrant qu'il souhaitait réaliser une treille, le maire a alors pris un crayon pour redessiner sur le dessin de Chemetoff et lui expliquer qu'il fallait que la treille soit plus enterrée. Je souhaite vous montrer par là jusqu'où peut aller la participation du commanditaire. Cette relation entre les commanditaires et le concepteur du projet est assez intéressante et ce sont des moments que l'on ne retrouve pas dans les projets que l'on réalise habituellement avec les artistes. Le futur usager de l'œuvre, celui qui en a eu la nécessité, est aussi celui qui à un moment prend la responsabilité du projet et s'engage aussi dans les questions de forme.
Le dernier projet sur lequel nous travaillons actuellement à Béziers réside dans l'invitation d'Agatha Ruiz De La Prada pour relooker une maternité. Nous avons fini l'étude et nous allons passer en phase de réalisation.
Je voudrais maintenant vous parler du nouveau secteur L'Agence. Tout le travail que nous avons fait pendant plusieurs années, dans le cadre des différents secteurs que je viens d'évoquer, se croise. Il y a des liens, des ramifications volontaires entre chacune de nos actions et la réorganisation en secteur d'activités est apparue en avril 2002. Cette réorganisation nous permet de lancer de nouveaux moyens de prospection et la création de L'Agence s'explique aussi pour ces raisons-là. Nous nous sommes rendus compte qu'il y avait quelque chose d'extrêmement ingrat dans le travail que nous développions sous forme de commandes, à savoir que les personnes avec lesquelles nous avions travaillé dans ce cadre étaient très sensibles à ce type de processus, mais que les gens qui étaient extérieurs aux différentes phases de travail, le recevaient comme ce qu'ils connaissaient déjà, c'est-à-dire comme une exposition. Alors, plutôt que de leur en vouloir, nous nous sommes dit qu'il fallait peut-être mieux intervenir en amont et rendre plus visibles les processus que les résultats. Malgré nous, nous fonctionnions plus comme une exposition : nous prenions trois ans pour réaliser un projet et quand le projet arrivait à son terme nous faisions une inauguration. Nous étions contents d'arriver à la concrétisation, mais les gens qui venaient à l'inauguration disaient : "C'est une belle exposition de Michelangelo Pistoletto !". Ce moment-là était difficile à accepter parce que nous avions l'impression de ne pas être compris.
Nous avons donc décidé de travailler différemment de façon à impliquer la réception bien en amont de l'arrivée de l'œuvre. L'Agence sera donc un lieu de visibilité des processus d'apparition des œuvres et nous l'espérons de tous les processus. Ce lieu, nous offre l'occasion de questionner les institutions sur leur positionnement en terme de commande et il nous permettra aussi, plus globalement, de rendre lisible le programme de formation des Nouveaux commanditaires sur lequel nous travaillons à une échelle européenne (Italie, Belgique, Angleterre, Suède). Nous sommes donc cinq pays partenaires et huit structures ; il y a quelque chose d'intéressant à montrer au niveau européen en terme de pratiques. D'autre part, localement nous sommes face à un contexte particulier puisqu'à Marseille une grande opération d'urbanisme, Euroméditerranée, sans doute la plus importante depuis Haussmann, est en train de voir le jour. Elle va restructurer le tissu urbain, il va y avoir énormément de changements du point de vue du développement économique de la ville, il va y avoir beaucoup d'interventions d'artistes maîtrisées ou pas, ça reste à voir, en tout cas à un moment nous espérons devenir acteurs sur ce terrain-là. Ce qui est sûr dès à présent, c'est que ces changements vont impliquer des nouveaux modes de perception de l'urbanité. Il y a une blessure historique à Marseille qui se trouve justement là où Euroméditerranée intervient et nous pourrons constater dans vingt ans si cette blessure a été pansée ou si au contraire il y a un nouveau raté.
Marseille reste aujourd'hui encore une ville d'une résistance extrême à tout ce qui est projeté d'en haut sur son territoire. Elle résiste tellement bien qu'elle mène les choses à l'échec ; les opérations haussmanniennes ont laissé de belles réalisations, mais des pans entiers de ville sont aussi devenus des no man's land, des endroits d'errance totale dotés d'une poésie extraordinaire... La question que l'on peut se poser c'est : est-ce que ça va passer où est-ce que ça va casser encore une fois ? Nous sommes aussi face à un enjeu historique qui nous intéresse. Donc, l'Agence ouvrira en janvier 2003 et elle aura pour vocation d'accueillir des projets, de permettre des rencontres et des moments de participations....

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La suite >>> Lionel Bovier, Co-fondateur et directeur de JRP Editions, Genève > consulter

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