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Production _ diffusion : de nouveaux "formats" pour l'art contemporain > Dominique Pasqualini Je
vais essayer de parler d’une activité qui a plus de vingt
ans. Je dirais donc qu’il y a prescription quant aux "crimes"
qui ont été commis à ce moment là. Il y a
prescription mais nous sommes dans une période où, sur un
plan juridique, il y a des tentatives récentes de mettre en place
une situation, je n’y ai pas vraiment réfléchi, ça
m’est venu tout de suite, une situation de "purgatoire"
ou de "limbes", si on utilise le vocabulaire du christianisme
: celui qu’on est obligé d’utiliser quant on parle
d’Art et de l’Image. Donc nous dirons que c’est le purgatoire
ou les limbes puisqu’il y a des tentatives gouvernementales de dire
qu’une œuvre ne sera reconnue d’Art qu’au bout
de trente ans. Ce dont je vous parle c’est donc à la fois
précis en tant que crime et c’est encore dans les limbes
(si on utilise cette situation, qui est assez intéressante d’ailleurs,
pour un enfant non baptisé mais qui est mort, d’aller dans
cette zone un peu particulière, qui n’est ni l’enfer,
ni le paradis, ni le purgatoire). C’est-à-dire que c’est
en voie de devenir de l’Art et donc d’accéder à
l’univers Céleste. Toute mon activité ou toute l’activité dans laquelle j’ai été "impliqué", puisque je vais parler de crimes, s’est toujours faite en complicité. Je pense que par rapport au sujet d'aujourd'hui, c’est intéressant de savoir qu’il y a assez longtemps que des gens travaillent sous une forme de communauté ou de collaboration. Ce qui fait que Ramon, parce que ça fait assez longtemps que l’on ne s’est pas vu, m’a présenté comme artiste "ex". C’est intéressant parce que dans ce débat, il est question de "production _ diffusion" (séparé par un petit tiret). J’imagine que le petit tiret est là pour dire, notamment quand on sait par qui et dans quel cadre est organisé ce colloque, que c’est le terme d’exposition qui a disparu, qui s’est perdu ou qui a été remplacé par ce tiret entre production et diffusion, et dans exposition il y a "ex". Qu’en est-il donc de ce travail par exemple, qui a été fait avant ? [deuxième diapositive sans image] Ça, c’est un extrait d’un film un peu pornographique qui avait été fait en 1977 et qui s’appelait Savoir y voir ça. C’était un court métrage, 16 mm, noir et blanc, sonore, qui a été fait dans des conditions professionnelles. Il a été tourné dans des conditions quasi-clandestines, un peu dans l’obscurité, et ce film était un questionnement de l’œil pinéal et de la figure. Il était question de savoir qui est le regard, quelle est la place du regard, du regard de l’œil, et quel est cet œil mécanique. Déjà ce film questionnait l'identité du réalisateur et de l’acteur. Le film se déroule de manière assez simple. Il y a deux séquences : moi et mon amie de l’époque nous faisons l’amour avec une caméra à la main et cette caméra, à laquelle personne n’a accès, est entre nous, elle est comme une espèce d’objet extérieur, de corps qui se glisse entre nous et qui est en regard extérieur. Dans une deuxième séquence, cette caméra est posée sur un pied. C’est un film qui était déjà sur cette collaboration : qui est à l’extérieur ? Qui produit ? Qui réalise ? Qui joue ? Tous les autres projets réalisés par la suite, à partir de 1978, ont un contournement finalement assez identique à celui qui est opéré par cette journée. Dire "production _ diffusion" c’est penser et voir, en des termes de production, c'est rentrer dans le modèle de notre économie. On dira donc production, consommation et effectivement entre les deux la distribution, qui, on le sait, est cette chose tertiaire qui a pris une importance phénoménale. Je pourrais dire d’ailleurs, ce serait un peu brutal, mais pourquoi pas, que les deux autres artistes intervenant précédemment sont des gens qui travaillent essentiellement sur cette zone là. On peut dire qu’ils ne produisent rien, qu’il n'y a aucune consommation et que tout se concentre dans cette zone de la distribution. On peut d’ailleurs voir ce qui est en jeu dans cette chose là. Asier a très bien défini d’ailleurs le malaise qu’il y avait effectivement à être soit dans l’art et être simplement dans la fiction, soit d’essayer de rentrer dans le domaine du socialo-politique, du vif, où son action lui semblait, à juste titre, plus efficace. Par la suite, l’ensemble des opérations qui se sont déroulées jusqu’à cette chose qui s’appelle IFP Information Fiction Publicité, a toujours consisté à se dire : quel est l’objet que l’art — c’est à dire le milieu de l’art, les artistes — nous ont laissé ? Quelle est cette chose qui nous est transmise ? (moi, je me tiens très peu informé, d’ailleurs je suis très content d’avoir eu ce matin quelques informations de ce qui se passe un peu dans l’art, je ne vais plus voir aucune exposition depuis bientôt neuf ou dix ans, sauf des choses de céramique orientale, des choses d’art disons un peu latérales ou des expositions de livres, ce qui est d’ailleurs toujours un peu absurde). Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui nous est resté dans cette histoire du vingtième siècle ? Qu’est-ce qui s’est déroulé ? Effectivement, je pense, et de ce point de vue là on rejoint la journée d’aujourd’hui, que c’est l’exposition. Nous, notre constat ça a été de dire cela, c’est l’objet d’art, l’œuvre en tant qu’objet. Alors évidemment il y a toujours une confusion qui persiste dans la société mercantile dans laquelle nous vivons, de toujours considérer que l’œuvre c’est une chose, c’est un objet matériel et d’oublier que c’est un objet de connaissance ou de jouissance. Quel est donc l’objet de notre faire, de notre agir et de notre activité ? Notre cadre à nous ce fut de dire que c’est l’exposition, c’est ça qu’on doit travailler, c’est ça qu’on doit donc torturer (si on s’en tient à l’étymologie de "travail"), c’est ça qu’on doit faire souffrir, c’est ça qu’on doit faire suer. Et effectivement, pendant dix à quinze ans, si j’y ajoute les activités avant Information Fiction Publicité, notre travail a consisté à faire cela. Justement dans le cadre de cette question de l’exposition, c’est toujours ce qui se passe, ici même, ce que font l’informatique et d’ailleurs la projection par powerbook : ils nous exposent à leur lumière. Donc cette chose-là qu’on faisait dans les écoles d’art, et que j’imagine on fait toujours (puisque j'en ai vu là-haut), c’est à dire de projeter des œuvres sous formes de diapositives, c’est effectivement une première question benjaminienne à savoir celle de l’œuvre reproduite, etc… Mais quelle est cette chose qui fait que, devant une assemblée, on projette les gens, on projette aux gens de la lumière qui elle-même éclaire ces gens ? Donc qu’est ce qui fait que, actuellement, on vit devant tous nos écrans qui nous exposent, nous bombardent électroniquement, etc… ? Si on pense à ce qui s’est passé ce matin par exemple, au fait de regarder l’emboîtement des fenêtres et des dossiers et de ne voir qu'assez rarement quelques images un peu "merdiques", je le dis en terme de qualité, ce sont des images du Net, des images hyper pixellisées. C’est une situation dans laquelle nous sommes. Il faut tout de même s’arrêter sur cela. C’est-à-dire que nous sommes dans une école d’art, une école des Beaux-Arts, nous sommes des gens qui réfléchissons sur nos conditions du voir, de l’apparaître, de la présentation et nous regardons des images de merde, des images hyper pauvres. Ce n’est pas une situation nouvelle mais c’est une situation qui s’aggrave puisqu'avec le net, le web, etc… ce sont des images qui sont extrêmement mobiles. Ce qui fait aussi que finalement, les artistes (nous étions trois ce matin), je ne m’exclus absolument pas de cette critique, de ce constat, nous nous retrouvons sommés de parler. Ce qui a été aussi une de nos interrogations dès le début c'est pourquoi demande-t-on à l’artiste de dire quelque chose de ce qu’il fait ? Alors, soit on adopte la stratégie de Bernard Buffet (qui bien qu'ayant écrit des textes très importants, reste méconnu pour ses œuvres écrites), soit on se tait — c’est à dire que l’artiste reste dans son silence — soit effectivement on fait ce que l’on fait ici : on fait un exposé. Donc, on ne fait plus d’exposition, on fait un exposé. Pendant toutes ces années, pendant 15 ans, on s’est posé ces questions. En 1978 [Il remontre une diapo qu’il présente comme le film pornographique dont il a parlé précédemment] notre première proposition (pour essayer de faire une espèce de généalogie, d’archéologie de toutes ces pratiques) a consisté à envoyer à un certain nombre d’artistes, puis à des gens qui n’étaient pas que des artistes mais qui étaient quand même plus ou moins autour de l’art (des collectionneurs, des avocats, des gens comme ça), une lettre qui avait pour titre Information sur une proposition. Cette lettre consistait à faire une proposition qui tentait de se maintenir en retrait par rapport à toutes les conditions qu’on attend d’une exposition. Une exposition, selon une loi dont on a pas vraiment idée d’ailleurs, ça dure en gros entre trois et six semaines (voire plus dans un musée), ça se passe dans un espace immaculé blanc, et ces conditions-là n’ont guère changé d’ailleurs. En tout cas, on arrive à ne les changer que par les propositions qu’on a vu dans la matinée, c’est à dire des gens qui sortent de l’espace de l’art. Ces propositions consistaient, par exemple, à inviter des gens sans leur dire aucun lieu, aucune date, aucune zone du monde, et ces choses-là devaient être définies par cela. Le titre de la lettre était Information sur une proposition ; là encore, comme avec "production _ diffusion", on contournait le mot exposition. En leur disant de faire ça seul, ensemble ou en groupe, mais aussi dans telle période, etc… il y avait toutes sortes de versions possibles. Un certain nombre de manifestations a donc consisté à tenir cette position qui était ce retrait de ces éléments, et ce n’est jamais paru dans des catalogues ou des livres… Une seule fois, des gens ont été conviés au huitième étage d’un immeuble dans un couloir où, effectivement, ces mêmes papiers étaient affichés au mur et les gens pouvaient les enlever, redoublant cette information sur la proposition. Entre temps, toutes sortes de stratégies ont été tentées pour faire effectivement redoubler le discours sur le cadre de l'art, et je pense que c’est le débat qu’on va avoir. Que peut-on faire avec le cadre de l’art ? Ou on est dedans, ou on est dehors. Je dirais que depuis une dizaine d’années les gens ne cessent d’aller et venir par rapport à ça. Par exemple, si je prends Xavier Fourt, est-ce que l’enjeu c’est cette critique politique ? Ce qui est parfois douteux puisque nombre de ces procédures, avancées comme elles le sont, sont de la fiction. Il y a à la fois un discours qui est développé par rapport à un contenu politique, mais en même temps, et c’est pour cela que ça se tient ici, dans le cadre de l’art, tout cela est joué dans la fiction ou alors dans une critique du cadre de ce discours. Par la suite, nous avons réalisé, pendant quatre ou cinq ans, un certain nombre d’opérations par rapport à cela, dont créer une radio, ce qui n’était pas évident puisqu’il s’agit des années 79–80. C'était l'époque de la radio pirate, qui est devenue une radio libre puis une radio privée, pour maintenant finir avec tout ce qui nous entoure, c’est-à-dire des radios commerciales ou les quelques radios de campus ou de proximité. Donc nous avons créé une radio dont nous avons décliné une version dans une Biennale à Paris qui eut comme enjeu de jouer avec tout ce cadre de discours possibles. Comment effectivement faire de la radio avec de l’art ? Heureusement nous avions fait venir à ce moment-là toute la new wave allemande, dont il nous reste Einsturzende Neubauten et qui à l'époque débutait. Nous avons opéré un certain nombre de choses : intervenir sur un défilé de mode, proposer des ventes comme situation. Par exemple, en 1984, nous avons organisé la vente entière de toute notre collection de livres (de livres d’art, de catalogues, … plutôt rares d’ailleurs) et dans un deuxième temps de tous nos disques, tous nos sons. C’était des interventions qui s’appelaient Vers l’espace du non encombrement. Auparavant à New York, sous le nom de TALENT IS USELESS était proposée l’ouverture de galeries de type boutiques, ce qui n’existait pas encore à l’époque, dans lesquelles l’espace, selon les jours, était un atelier de confection, un espace de monstration ou une espèce d’immense radio qui diffusait une critique, on va dire, pour aller vite, post-situationniste (ce qui n’était pas tellement à la mode à l’époque), de l’information, de nos critères d’information et de publicité. [nouvelle diapositive sans image qu’il présente comme un détail du mur de cette galerie en béton aménagée dans Mott Street, pas très loin de West Broadway et de la galerie Sonnabend] À
ce moment-là, à New York, entre 1980 et 1982, comme les
choses devenaient de plus en plus textuelles, d’écriture,
de critique par la langue, il y avait quelque chose d’un peu absurde
à rester sur la terre de New York, qui avait pour intérêt
pour nous de vitaliser l’art. C’est-à-dire qu’on
avait fait un certain nombre de choses à la fin des années
1970, début des années 1980 à Paris, puis ces choses
tombaient, non pas un peu à plat, mais elles étaient, je
dirais "hyper-conceptuelles", au sens où elles étaient
des tentatives d’interprétation et de critique de l’art
conceptuel qui était vu à l’époque, et malheureusement
qui est toujours vu désormais, comme une tentative de « dématérialisation
» (comme Lucy Lippard en avait titré un livre). Notre critique,
à l’époque, consistait à montrer qu’en
fait ce qui est évident pour nous maintenant, même si le
terme d’art conceptuel continue d’être utilisé
de cette manière à l’heure actuelle, ces artistes
continuaient à produire des choses, des objets, des événements,
des images, des séquences sonores. Ce qui était en question à ce moment-là, pour passer le relais à la personne qui parle après moi, c’était de dire : quels sont les objets par lesquels nous pouvons être là aujourd’hui et partager, sans se leurrer, autour d’expériences, de pratiques comme celles que nous avons vu ce matin ? Quelle est la limite ? Quels sont les enjeux de territoire qui font qu'on est dans le milieu de l’art, mais on fait les malins, en prétendant aller dans le monde critiquer à droite et à gauche tel sujet, tel motif écologique, politique, sociologique, anthropologique, etc… ? Et donc faire un art qui, finalement, sans dire son nom est l’art le plus réaliste du monde et qui aurait totalement oublié toutes les leçons du vingtième siècle et même d’avant. Un art qui prétendrait donc en ramener à une certaine vérité, à une présence au sens possible, de l’ordre de l’interprétation ou de l’action et qui ferait fi de tous les enjeux que l’on pourrait voir, même dans le plafond de la Sixtine de Michel-Ange. C’est-à-dire où l’art, l’image, le rapport à la figure, le rapport au corps, sont mis en question de manière très problématique. Si nous devons maintenant revenir à une situation où même les expériences comme celles de Michel-Ange et toutes celles qui se sont passées entre temps doivent être jetées avec l’eau du bain, ou alors si nous sommes condamnés, si on ne s’en tient pas à ces contenus que j’ai décrits, à être des imperturbables analystes sur le mode, pour aller vite, pour parler de quelqu’un qui fait repère en France, du type Buren, nous serions alors condamnés à la permanente critique de la limite des territoires sur lesquels nous agissons. ->
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